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La revanche de la guillotine : l’affaire Carrein

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C’est un petit livre tout à fait passionnant : son auteur, Luc Briand, conseiller à la cour d’appel d’Aix, est le premier à s’être intéressé à un condamné à mort parfaitement méconnu, Jérôme Carrein, décapité en 1977 pour le meurtre d’une fillette, deux ans plus tôt dans le Pas-de-Calais. C’est l’avant-dernier guillotiné de France – et le dernier de nationalité française.

« Je baisse la voix, avait dit Robert Badinter en présentant à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981, le projet d’abolition de la peine de mort, et je me tourne vers vous tous pour rappeler qu’en France même, sur 36 condamnations à mort définitives prononcées depuis 1945, on compte neuf étrangers, soit 25 %, alors qu’ils ne représentent que 8 % de la population ; parmi eux cinq Maghrébins, alors qu’ils ne représentent que 2 % de la population. Depuis 1965, parmi les neuf condamnés à mort exécutés, on compte quatre étrangers, dont trois Maghrébins. Leurs crimes étaient-ils plus odieux que les autres ou bien paraissaient-ils plus graves parce que leurs auteurs, à cet instant, faisaient secrètement horreur ? »

Carrein, lui, est Français, mais son exécution s’explique largement par le contexte du moment. Son crime, et la peine de mort, sont sans doute la conséquence « des pulsions d’un individu fruste, alcoolique, indique Luc Briand, mais c’est aussi, en définitive, celle de l’institution judiciaire qui devait absolument, quelques jours après un procès médiatique à l’issue duquel Patrick Henry, assassin cynique d’un enfant de sept ans, avait sauvé sa tête devant la cour d’assises de Troyes, démontrer que cette décision ne signifiait pas que l’on ne condamnerait plus à mort dans notre pays ».

Frénésie de condamnations à mort

André Giresse, président de la cour d’assises de Paris de 1975 à 1985, souligne dans Seule la vérité blesse. L’honneur de déplaire (Plon, 1987) la frénésie de condamnations à mort qui touche alors les cours d’assises pendant l’année 1981. Huit peines capitales sont prononcées d’octobre 1980 à juin 1981, et une autre tombe à Colmar le 28 septembre 1981, alors que le projet de loi abolissant la peine de mort est alors en discussion au Parlement.

« Pour les accusateurs de Carrein, il importait de montrer que le procès de Troyes n’avait été qu’un viol des consciences, explique Luc Briand, par lequel de belles âmes avaient réussi à sauver un assassin qui méritait la mort plus que quiconque. C’est cette anomalie qu’il convenait de réparer au plus vite, afin de ne pas fragiliser plus encore le principe du châtiment suprême. En somme, pour que la peine de mort continuât à vivre, il fallait que Jérôme Carrein meure. »

L’auteur a retrouvé le juge d’instruction chargé de l’affaire, les gendarmes chargés de l’enquête, et même le fils du bourreau qui a assisté à l’exécution. Il raconte l’entrevue glaciale de l’avocat de Carrein avec Valéry Giscard d’Estaing, le chef de l’Etat, opposé à la peine de mort sur le plan personnel mais pas sur le plan professionnel. Qui a d’ailleurs interdit au magistrat de consulter les archives sur le recours en grâce qu’il avait refusé.

L’abolition au Royaume-Uni

Luc Briand décrit en passant comment la peine de mort a été abolie en Grande-Bretagne – longtemps après la Suède (en 1921), le Danemark (en 1933), l’Italie (en 1947) ou l’Allemagne (en 1949). A Londres, Timothy Evans, 25 ans, est pendu le 9 mars 1950 à la prison de Pentonville, dans la banlieue de la capitale, après l’assassinat de sa femme Beryl et de sa fille Geraldine, âgée de 1 an. Il avait dit à la police que sa femme avait été tuée par un voisin, qui avait proposé ses services pour la faire avorter clandestinement d’un deuxième enfant et lui avait fait boire un liquide abortif. Quant à sa fille, ledit voisin l’aurait convaincu de lui confier en attendant que l’affaire se tasse.

Evans n’avait convaincu personne, et il avait suffi de quarante minutes à la cour criminelle de Londres pour le condamner à mort. Or lorsque le voisin – un certain John Christie – déménage trois ans plus tard, on découvre dans sa cuisine les corps de trois femmes, puis en fouillant l’immeuble, les cadavres de trois autres. Il a avoué en garde à vue le meurtre de la femme d’Evans, avant d’être pendu à son tour le 15 juillet 1953. L’affaire a secoué le Royaume-Uni, la peine de mort a été suspendue en 1965, et abolie par le Human Rights Act du 9 novembre 1998.

La revanche de la guillotine, Luc Briand, éditions Plein Jour, 176 pages, 18 euros, en vente le 19 janvier.


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